Des combats pour chacun, des valeurs en commun ?
Comment parler « valeurs » avec la jeunesse d’aujourd’hui ? Surtout dans un cinéma, surtout pour un jour de rentrée universitaire ? C’est pourtant le défi audacieux que s’est lancée Carine Dartiguepeyrou, docteure en Sciences politiques et présidente de l’Observatoire des Valeurs. Lors d’un échange avec une centaine d’étudiants de l’ILERI*, elle a su impulser une réflexion collective sur le sens et l’essence des combats que cette jeunesse mène sans s’en vanter.
Il est si fréquent d’entendre parler d’une « crise de valeurs », comme maladie spécifique à notre société et particulièrement aux nouvelles générations : c’est devenu un cliché, un lieu commun qui fait rimer passivité avec jeunesse. Témoins d’une perte de repères liée au culte du confort matériel qui a effacé les préoccupations spirituelles : voilà comment ils n’aiment pas être perçus.
Pour introduire la thématique des valeurs, Carine Dartiguepeyrou a choisi de faire visionner un film à ces étudiants interloqués et impatients de se laisser surprendre par la créativité pédagogique de l’administration. Elle explique qu’il s’agira de King : de Montgomery à Memphis, un documentaire qui invite à réfléchir sur le combat du pasteur Martin Luther King Jr. et qui offre une rétrospective sur son parcours. Un vestige de ces années 1960, souvent évoquées dans les manuels d’histoire, mais bien trop peu explorées dans leur complexité, et surtout sous le prisme des valeurs.
S’enchainent alors des scènes chocs, des séquences troublantes, du Ku Klux Klan en passant par les symboles de l’apartheid et finissant par le légendaire discours de Martin Luther King à la Maison Blanche. Si l’on trouve sans difficulté un vaste éventail d’adjectifs qui pourraient correspondre à ce personnage, Carine Dartiguepeyrou nous demande quelles « valeurs » peuvent le caractériser ? On entend des chuchotements, des hésitations : « mais c’est quoi une valeur, au fond ? » Ni qualité, ni simple cause de combat, sa définition implique une dimension plus subtile. Une valeur, on la porte, on l’incarne.
Quelques réponses émergent alors de la salle : le courage, l’intégrité, la justice, l’égalité… Autant d’éléments qu’évoque le combat de Martin Luther King. Mais la précision est de mise dans ce débat, où l’on risquerait de s’égarer : Carine Dartiguepeyrou recadre l’échange en expliquant que la valeur se définit par rapport à des notions d’énergie et de choix. L’énergie de Martin Luther King est indéniable, et elle semble effectivement motivée par un choix : agir et lutter pour une cause collective, avec la conviction que les méthodes pacifiques seront les plus efficaces.
Quid des valeurs d’aujourd’hui ?
Si la discussion suscitait déjà un intérêt certain, il fallait seulement une étincelle pour allumer un débat passionnel. Carine Dartiguepeyrou s’est adressée aux étudiants en leur demandant de décrire les combats qu’il faut mener de nos jours, et les objectifs à atteindre. Mais en suggérant d’établir une hiérarchie, un ordre de priorités entre ces différentes causes, elle a provoqué l’offuscation et le désarroi. « Comment donner la bonne réponse quand l’engagement est intrinsèquement lié à notre subjectivité individuelle ? Comment dévoiler ses valeurs, son « moi », à un groupe d’inconnus qui, peut-être, ne les partagent pas ? »
Il y avait ceux qui soulignaient l’antagonisme classique entre liberté et sécurité – un choix se référant à des facteurs plus « culturels ». Puis ceux qui parlaient de démocratie, de son interprétation singulière de nos jours et la nécessité de comprendre sa définition pour mieux la préserver. Encore, quelques-uns qui évoquaient les valeurs d’égalité de genre, remises au cœur du débat par la polémique #MeToo et questionnant nos acquis dans cette sphère. Enfin, ceux qui mentionnaient la vérité et la transparence comme valeurs fondamentales dont la recherche devrait empêcher la paralysie du débat public, mais dont les dérives et détournements posent un défi.
Si les causes sont définies, l’énergie et l’audace restent des ingrédients indispensables pour donner sens à cet engagement. Et un point fait consensus : ces combats nécessitent une implication de chacun pour aboutir.
Les langues se délient et des convictions prennent forme. Non pas dans une logique de confrontation, mais plutôt d’apports mutuels, ils débattent, argumentent et s’écoutent ; à l’issue de cet échange, ces quelques étudiants seront sortis enrichis mais interpelés – et c’était bien l’objectif.
Tatiana Serova, étudiante à l’ILERI
*L’ILERI (Institut libre des Relations internationales et des Sciences politiques) est une école spécialiste des relations internationales depuis 1948, située à Paris-La-Défense. Proposant une formation pluridisciplinaire en sciences politiques, géopolitique, droit international, économie et langues, l’ILERI forme ses étudiants, selon les besoins du marché, aux fonctions de cadres des organisations internationales, des ONG, des entreprises internationales, des institutions européennes, de la fonction publique française (défense, environnement, etc.), de la diplomatie, des collectivités territoriales, des think tanks, du journalisme, des cabinets de lobbying, des cabinets de conseil, etc.